On associe très souvent les effets négatifs des excès du transport routier (de marchandises et de personnes) à la pollution de l'air, à l'accidentologie excessive (rappelons que les accidents de la route font 3000 morts par jour ou encore 1 million par an), à la consommation d'énergie, à l'effet de serre. Il est cependant un paramètre largement négligé, celui de l'aspect social.
On aboutit à ce lien lorsque l'on relie la structure de nos modes de transport avec l'urbanisme et l'aménagement d'une part, et avec deux des thèmes de la philosophie qui sont la liberté et l'égalité, c'est à dire l'accès égal à tous à un plus grand univers de choix.
Cet article a pour but, très synthétiquement, de montrer comment la conception de l'aménagement urbain depuis les années 70 et encore maintenant aboutit à l'injustice sociale.
Dans notre vie quotidienne, nous avons des déplacements à effectuer, certains sont subis, ou guidés par les nécessités (travail, courses, conduire les enfants à l'école), d'autres sont désirés.
Le transport représente jusqu'à 25% du budget des ménages. Le salaire moyen français est de 20 000 Euros et le coût moyen d'une voiture à l'année est de 4000 Euros minimum. Beaucoup de ménages sont contraints d'avoir deux voitures, chacun des deux membres du couple travaillant.
L'aménagement urbain a largement favorisé la voiture comme mode de déplacements. En effet, poursuivant au départ un désir légitime de liberté de se déplacer, la voirie urbaine affectée à la voiture a suivi avec 90% de surface affectée. L'augmentation considérable du taux de motorisation des ménages associé au désir légitime d'habiter en maison individuelle nous amène à une consommation d'espace excessive induisant une fuite en avant dans la périurbanisation dans deux domaines essentiels, l'habitat et le grand commerce. Cette logique est devenue une norme sociale agissant comme un masque sur les inconvénients sociaux de celle-ci.
La tenaille de l'injustice sociale est en place.
Première branche:L'usage individuel de la voiture est la manière la plus coûteuse de se déplacer.
Deuxième branche, L'augmentation du taux de motorisation induisant une expansion du réseau routier, aspirant lui-même des déplacements automobiles supplémentaires, a freiné le développement des modes de transports alternatifs, voir éliminer certains modes comme le vélo en supprimant les équipements de sécurité et en augmentant les vitesses de pointe des voitures.
Cette tenaille aboutit à une privation de liberté pour ceux qui souhaitent dépenser moins d'argent dans leurs transports (c'est à dire se transporter au moindre coût dans nos déplacements subis) tout en gardant leur mode de vie. Un des symptômes de cette logique est ce que l'on appelle les coupures urbaines. Dans certains quartiers de la première couronne parisienne, il est impossible de sortir autrement qu'en voiture car ils sont enclavés dans des noeuds de rocades urbaines.
Il faut ajouter à cela le fait que l'occupation démesurée de l'espace public par la voirie automobile contribue à la raréfaction de l'espace affectable à l'habitat, ce qui aggrave l'augmentation des prix de l'immobilier. Un dernier élément est la dégradation de la qualité de l'urbanisme à proximité des voies à fort trafic, contribuant ainsi à l'hétérogénéité de cette qualité dont nous sommes en droit d'avoir un accès égal. C'est une autre cause de l'augmentation des prix et des loyers des immeubles. Réduire le trafic automobile et gagner de l'espace permettrait d'augmenter le nombre de quartiers de qualité et de faire baisser la pression sur les prix.
Repenser nos modes de transports, c'est repenser de fond en combles notre aménagement urbain. En dehors des aspects sociaux, c'est même vital pour notre compétitivité économique (au regard de la consommation des ménages vers des produits à moindre consommation d'énergie fossile). En effet, lorsque nous sommes en compétition avec des gens qui ont des revenus dix fois inférieurs au nôtre (Chine par exemple), il est alors indispensable de réduire notre dépense énergétique pour effectuer les fonctions associées à notre mode de vie. Et plus on le fais vite, moins nous aurons à supporter les pressions relatives à cette différence de revenus.
Cette petite démonstration logique fait émerger les enjeux induits considérables de la transformation de nos modes de déplacements. La justice sociale ne se situe pas uniquement, comme le dit la gauche depuis longtemps, au niveau des revenus.
Notre qualité urbaine, l'augmentation de notre niveau de vie et de notre compétitivité, dépendront aussi de notre volonté de réformer l'aménagement urbain et de comprendre les mécanismes profonds de construction des inégalités. Avoir une politique structurelle ambitieuse des transports de personnes devrait faire partie de tout programme politique d'avenir.