Notre société et les agents économiques qui la composent ont construit des modèles de marché qui nous amènent dans le mur socialement et plus vite qu’on ne le croit. En effet, les derniers chiffres de l’INSEE sur les dépenses des ménages par catégories socio-professionnels montrent des dérives qui doivent nous interpeller.
Les fonctions de base de la vie, celles sans lesquelles rien d’autre n’est possible, sont de plus en plus chères : se loger, s’alimenter, se déplacer, se soigner. A l’opposé, les fonctions annexes elles, sont de moins en moins chères (l’électronique, les produits immatériels etc…) voire à la limite gratuite. Cette dualité, couplée à la forte inégalité des revenus et des patrimoines et surtout son augmentation, diminue les capabilités (au sens d’Armatya Sen, prix Nobel d’économie) des populations les plus fragiles.
Il ne faut pas s’étonner que nous soyons au bord de l’explosion. Les politiques économiques nouvelles, si on veut résoudre les problèmes sociétaux, doivent être entièrement revus pour inverser cette tendance. Les dépenses les plus lourdes sont les transports, le logement et l’énergie. Ce sont ces trois leviers qu’il faut actionner. Construire pour diminuer le coût du foncier, construire intelligemment pour minimiser la dépense énergétique, diminuer la dépendance à l’automobile pour réduire le coût du transport. La solution ne passe pas par un encadrement des prix de l’énergie comme j’ai pu l’entendre aujourd’hui de la bouche d’une représentante d’une association de consommateurs, mais par une transformation de nos manières de concevoir et de nos usages.
Il est tout de même consternant de voir que dans le quartier Vauban à Fribourg en Brisgau on construit des maisons passives consommant 15kWh de chauffage par mètre carré et par an depuis 1996 alors que nous consommons 10 à 20 fois plus. Mais déjà en 1988, ils étaient à 65kWh par mètre carré et par an. Nous sommes incapables de démultiplier ces expériences par manque de volonté politique. Pour réaliser cela, il ne faut pas faire de l’architecture à 4 sous, mais travailler dur pour fournir des solutions où le coût global en investissement et fonctionnement, à confort égal, est bien moindre qu’aujourd’hui. Si le travail de conception est bien mené très en amont, et ce n’est pas la partie la plus coûteuse, tout est possible. Nous n’avons pas le droit de priver les populations fragiles de logements qui leur coûteront peu à l’usage, de se déplacer à moindre frais. C’est une nouvelle manière de voir le social qu’il faut impulser. Bien gérer notre environnement, c'est aussi faire de la justice sociale. La justice sociale passe par la justice écologique.
Bref, faire de l’environnement et du développement durable, ce n’est pas qu’un concept de riches. Il faut d’urgence inverser l’échelle des prix pour redonner des marges de choix et de capabilités à la majorité de la population. Aujourd’hui, nous en sommes encore à fabriquer des rustines.