Ce débat a mis en lumière la difficulté de concilier impératifs économiques, tels qu’ils sont conçus aujourd’hui, et les contraintes écologiques et sociales.
Monsieur O’Connor a très bien mis en évidence les oppositions frontales entre les riverains touchés par les nuisances actuelles de
Madame Boutin a mis en lumière les problèmes de déficit d’image liés à l’excès de trafic routier.
Madame Pecresse a insisté sur le déclassement difficile du site du vallon du Pommeray.
Monsieur Bédier est accroché à l’idée que tout développement économique passe par un développement inconditionnel du réseau routier, faisant ainsi fi de tous les objectifs de son propre gouvernement, dont la division des gaz à effet de serre par 4 d’ici 2050. Le solde migratoire de sièges sociaux est juste équilibré a-t-il déclaré pour justifier sa prise de position.
Une conseillère régionale a rappelé les objectifs que nous devons tenir pour les générations futures, à savoir la régulation des prélèvements de ressources finies de la planète.
Je vais montrer par cette contribution où sont les ambigüités et les malentendus de cette logique infernale qui bride l’émergence de solutions acceptables par tous comme le disait Monsieur O’Connor.
Pourra-t-on enfin sortir de cette vision restrictive des questions d’environnement ? Se limiter aux nuisances riveraines ou au classement de sites protégés ne structure pas une politique de développement durable ?
Ces débats ont mis en évidence le cruel manque de vision systémique. L’intégration de la contrainte environnementale dans toutes ces dimensions, et qui seule aurait permis de trouver un consensus acceptable, est absente.
Pourtant les objectifs existent. Les derniers rapports de recherche sur le réchauffement climatique montrent un risque important de subir en 1 siècle des bouleversements climatiques identiques à ceux qui ont duré plusieurs centaines de millions d’années il y a quelques centaines de millions d’années, ce qui met en jeu des énergies considérables (voir le numéro de Juin de la revue "la recherche" page 52). Face à cette constatation, les objectifs cités plus haut sont incontournables.
Si on ne veut pas tricher avec les réalités, alors cela veut dire réduire graduellement le trafic automobile. Cela doit peser de façon majoritaire dans une décision de créer une nouvelle offre routière dont on sait qu’elle va, dans une économie de marché, créer un trafic induit important. La diminution du trafic automobile est d’ailleurs un objectif législatif depuis la loi sur l’air de 1996. Les principes de réalité et l’intérêt général cités dans le débat de clôture ne vaut que dans le périmètre de réflexion choisie. Si on élargit celui-ci en intégrant les objectifs environnementaux planétaires, alors cela change complètement ces réalités et ces intérêts, et donc le processus de décision.
Monsieur Bédier fait une erreur sémantique majeure en confondant accessibilité des activités et fluidité du trafic automobile, ce qui fait apparaître une solution et une pensée unique, la construction d’une autoroute. Le développement même du territoire d’Île de France montre l’échec de cette pensée des années soixante dix. L’accessibilité peut très bien s’envisager dans des performances supérieures tout en diminuant l’usage individuel de l’automobile. Un peu d’imagination et de volonté collective suffit. Les villes d’Europe du Nord et d’Allemagne nous en donnent l’exemple flagrant.
Développer l’accès aux services et activités d’un territoire doit être maintenant découplé du développement du trafic automobile et être pensé à partir de transports collectifs ambitieux et surtout à partir de la mise en pratique d’une intelligence dans les mobilités.
Je renvoie, à ce titre, au cahier d’acteurs que j’ai rédigé pour cap21. Il est très facile de diviser par 2 au minimum en 5 ans le besoin de déplacements individuels en automobile avec peu d’argent public en généralisant les plans de déplacements d’entreprises. On peut aussi utiliser toute la palette d’outils logiciels pour créer des systèmes de transports à la demande performants. La pertinence du prolongement de l’A12 doit donc être recalculer en fonction de nouvelles hypothèses, de nouveaux usages de l’automobile.
Compte tenu des délais de réalisation du prolongement A12, nous avons largement le temps de réaliser cette intelligence des mobilités. Elle supprime tous les inconvénients induits, entre autres les perturbations dues aux travaux.
Plutôt que dire, en France, on ne peut pas changer les habitudes d’usages de l’automobile, il vaudrait mieux, comme le dit Monsieur O’Connor, travailler pour voir comment réussir le challenge de réduction du trafic routier et d’aller résolument dans cette voie en emmenant les gens vers un destin collectif acceptable.
Des solutions diminuant le trafic et évitant la construction d’une nouvelle autoroute en étant plus intelligent dans notre organisation des mobilités concilieraient tous les contraires.
Tenir les objectifs environnementaux ne consiste pas uniquement à protéger des sites, mais aussi à penser qu’un cadre urbain attractif pour une économie tertiaire et universitaire passe par une réduction de l’emprise foncière de l’automobile et un basculement des habitudes de mobilité. La population y est bien plus prête que les élus ne le pensent (voir le plan de déplacements d’entreprise de STMICROELECTRONICS à Grenoble où 88% des gens ont adhéré à la démarche).
N’oublions pas, par ailleurs, un élément essentiel pour répondre aux préoccupations de compétitivité de Monsieur Bédier. Le pic pétrolier se rapproche, le prix de l’énergie ne cessera d’augmenter. La compétitivité des territoires se jouera donc à l’avenir sur la sobriété énergétique dans notre façon d’exercer l’ensemble de nos activités. De plus, dans un avenir proche, les territoires seront contraints de rendre des comptes en terme de bilan carbone. Il est évident que si ailleurs en Europe un territoire (en Suède par exemple) permet de minimiser le coût de transport (l’automobile est le mode le plus cher au km), le cadre de vie sera meilleur et les entreprises n’hésiteront pas une seule seconde à choisir ce territoire.
Dans ce raisonnement, on voit que la prise en compte de l’environnement peut être le meilleur vecteur de développement économique. Si on ouvre l’angle de vue, de nouvelles solutions plus consensuelles émergent.
Je renvoie également à l’article de Jean-Marc Offner paru dans le numéro 3 de l’espace géographique. "Les effets structurants du transport : mythe politique, mystification scientifique". Cet article montre qu’il n’y a pas forcément corrélation entre construction d’une autoroute et développement économique. La crise énergétique actuelle remet d’actualité cet article écrit en 1993. Vous le trouvez sur les liens de ce blog.
Pour illustrer mon propos, je vais prendre l’exemple d’un chef d’entreprise de production. Si son volume à produire double, prendra-t-il la décision de doubler son parc machines ou d’optimiser son parc existant en le faisant travailler plus longtemps (deux ou trois équipes) ? Bien évidemment, c’est la seconde solution qu’il choisira.
C’est vers une optimisation du couple réseau routier véhicule automobile qu’il faut aller en augmentant le taux d’occupation de celle-ci (passer de 1.1 sur le déplacement domicile travail à 3 minimum) en travaillant avec le génie logiciel.
Autre exemple lié à l’entreprise. De nombreux directeurs de production réduisent l’espace de stockage afin que les ingénieurs produits trouvent des solutions innovantes pour réduire les stocks, condition essentielle de compétitivité.
Ces démarches de management de la performance n’ont pas encore été appliquées sur la question des mobilités.
Il est temps de s’atteler à cette tâche.