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Texte libre

Corinne Lepage,

ministre de

l'environnement

 de 1995 à 1997

et présidente de cap21

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27 août 2006 7 27 /08 /août /2006 00:35

Cette dualité pourrait faire l’objet d’un sujet de philosophie au baccalauréat. Tentons donc l’exercice.

 

Une question revient comme un leitmotiv dans la bouche des interviewers, à l’abord des débats politiques sur le pétrole ou le climat : l’automobile va-t-elle redevenir un luxe ? 

 

Le propre des sociétés humaines est de fonctionner sur des représentations issues de l’inné et des acquis culturels. Ceci est encore plus évident dans nos sociétés de consommation où, une fois les besoins premiers de la pyramide de Maslow satisfaits, les échanges de biens et de services se fondent sur le désir, lui-même basé sur ces représentations. 

 

Comment peut-on dégager une philosophie du luxe ? 

 

Un bien luxueux peut vouloir représenter celui que l’on aime posséder parce qu’il est de qualité, durable, exceptionnel par son attirance artistique. 

 

Mais il peut aussi représenter une rareté dont le prix est inaccessible à un grand nombre de gens. 

 

Dans une économie mondiale où 20% des gens détiennent 80% des richesses, le luxe peut alors être ressenti comme une privation par une grande partie de la population parmi les 80% autres, si celle-ci considère qu’un bien luxueux lui est nécessaire pour sa survie. 

 

C’est sur cette seconde représentation que fonctionne la question : "l’automobile va-t-elle redevenir un luxe ?". 

 

Au début de l’ère automobile, seul un petit nombre de personnes avaient accès à ce mode de transport, ce qui pouvait être ressenti comme une privation de la liberté de se déplacer par les gens désireux d’accéder à l’aventure du voyage ou tout simplement à un avenir meilleur en étendant sa zone d’emplois par exemple. 

 

Les constructeurs, par la production standardisée en grande série, ont démocratisé l’usage de la voiture. Le symbole est Henri Ford. Il déclarait qu’il fallait bien payer les ouvriers pour qu’ils puissent acheter des voitures. C’est une vision keynésienne de l’économie : on alimente l’offre par une stimulation de la demande. C’est aussi ce qui a guidé Jacques Maillot à Nouvelles Frontières avec son slogan "il faut démocratiser le voyage".  

 

Peu à peu, l’automobile est devenue un besoin indispensable, non seulement dans nos représentations, mais également dans notre vie quotidienne. C’est surtout vrai depuis les années 70 où l’urbanisme a été construit autour de la voiture avec parallèlement un abandon des services publics de transports urbains et une fermeture de nombreuses lignes SNCF interurbaines liées à la recomposition territoriale de la France.  

 

La transposition de notre urbanisme, de nos préférences de modes déplacements et de notre représentation de l’automobile dans toutes les mégalopoles du monde, particulièrement en Chine et en Inde, alimente une crise énergétique et climatique sans précédent dans notre histoire. Cela nous renvoie au démarrage de l’ère automobile, à celle du bien luxueux inaccessible avec l’inflation du coût de fonctionnement de la voiture (prix des carburants). La boucle est ainsi fermée. 

 

Lorsque notre gouvernement distribue des chèques à fonds perdus pour financer l’augmentation des dépenses de fonctionnement des ménages, il redonne temporairement à la voiture le statut d’un bien de consommation courante.

Le lien entre l’accès à la voiture et le luxe, et donc la légitimité de la question posée, se conçoit si on considère la baisse d’accès à l’automobile sous l’angle d’une privation. Il est alors légitime d’évoquer la nature de celle-ci. Est-ce une privation par rapport à la liberté de posséder une voiture, ou par rapport à celle de se déplacer ? Dans le premier cas on est dans le mode d’un enfant bavant devant un beau jouet à la vitrine d’un magasin, celui du pur désir, d’une libido de la société de consommation. Dans l’autre, nous sommes dans la privation d’une des libertés les plus fondamentales, celle de se déplacer. Dans un cas, on est dans le fonctionnement des sentiments humains, l’envie, la jalousie, dans l’autre, on est dans le fonctionnement minimum d’une société, dans l’intérêt général. On peut alors considérer que l’état n’a pas à financer l’achat d’objets de désir, mais il doit par contre assurer la pérennité des libertés fondamentales.  

 

Une chose a changé dans le contexte mondial par rapport au début des années automobiles, la connaissance du problème du réchauffement climatique et l’existence du pic de pétrole. Ces deux questions sont d’un intérêt général revisitant notre conception de la liberté par rapport aux générations futures. Elles auraient du orienter les politiques publiques vers l’usage intensif des transports publics dont l’automobile est une composante au travers des systèmes de transport à la demande. L’instauration d’un ticket transport à l’instar des tickets restaurants, soit à la charge des entreprises, soit à la charge de la collectivité, est une fuite en avant nous menant un peu plus profond encore dans le précipice des déficits. On sacrife l'avenir pour le présent. Il empêche de repenser nos mobilités pour trouver des solutions plus efficaces.

Il vaudrait mieux encourager les ménages à investir dans l’achat de voitures à carburants alternatifs et les entreprises à effectuer des plans de déplacements, c'est-à-dire investir dans la rationalisation et l’organisation de nos modes de déplacements. L’usage automobile et son coût diminuerait ainsi pour chacun.

 

Pour aller vers de telles politiques, nous devons rompre le lien luxe/automobile pour que la baisse de la facilité d’accès à la voiture ne soit plus vécu comme une privation de la liberté de se déplacer. Nous augmenterons ainsi notre liberté de choix dans un éventail de modes de transports équilibré, avec une meilleure qualité de vie. C’est à la puissance publique de créer les conditions pour que ce choix puisse exister. Pour le moment, nous n’en prenons pas le chemin. On continue d’acheter la paix sociale, de creuser le déficit des comptes publics, au grand bénéfice des pays producteurs de pétrole, et au grand damne des populations les plus fragiles, celle qui gagne moins de 1250 Euros nets par mois, soit la moitié des actifs.     

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commentaires

A
Salut Dominique,je suis assez d'accord que c'est une connerie de donner des tickets essence, les gens ne modifiront leurs habitudes (plus de TC, plus de modes doux, achots de véhicules plus propres [gaz, ethanol, electrique]) que si on tape sur leur bourse, donc on leur fait payer le vrai montant de l'énergie.Cependant, l'automobile reste une bonne affaire économique, pour nous et pour le tiers monde ( en particulier les BRIC, Brésil, Russie, Inde et Chine) car l'auto créé un max d'emplois pour:concevoir des autosconstruire des autosvendre des autos,réparer des autosrevendre des autos,détruire des autos,mais aussi :créer des voiriesentretenir des voiries,ciontroler les voiries et les autos.......Je ne parle meme pas du jackpot financier grace aux taxes sur l'industrie automobile, les charges sociales sur tous les travailleurs de la filière auto, et le couple sacré, PV et TIPP, présent sous une forme ou une autre partout.Ainsi, si on favorise autant l'automobile, c'est pas seulement pour faire plaisir au bon peuple, mais c'est aussi et surtout l'un des rares secteurs de l'économie qui crée autant d'emploi et rapporte autant d'argent à l'état.Trouvons un autre modele économique, une autre vache a lait pour l'état, et la voiture perdra de son prestige et sa place.Arnaud
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G
Bonsoir<br />  <br /> J'ai recopié votre texte dans le forum antibagnole :<br /> http://minilien.com/?QinpaCb2uu  ou http://www.antibagnole.com/theforum/viewtopic.php?t=912<br />  <br /> Bonne soirée<br /> Gérard Massip
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