Une des grandes causes du problème des banlieues développée dans les medias et les débats politiques est le type d'urbanisme: grands ensembles, inhumanité de l'espace, problèmes économiques associés, ghettoïsation, etc...Personne, pas même dans les thèses de recherche, n'a encore étudié et quantifié le lien entre la civilisation du "tout automobile" et la dégradation des conditions de vie dans les banlieues.
Pourtant, il suffit de croiser plusieurs paramètres pour se rendre compte qualitativement de l'évidence de ce lien.
Si on a le souci d'une réelle réflexion globale faisant intervenir les modes de vie, l'économie, le revenu net des ménages, l'inflation des prix de l'immobilier, les problèmes sociaux, les problèmes de l'économie souterraine, les problèmes d'environnement (énergie, effet de serre, pollution locale, occupation d'espace), alors on a les clés pour comprendre comment la construction d'infrastructures pour l'automobile a pu contribué fortement au problème actuel des banlieues.
Pour faire cette démonstration qualitative, il faut trouver l'enchaînement logique de ces paramètres.
L'automobile, on l'a vu dans les précédents articles, exerce une pression foncière forte sur les espaces urbains contraints, de par l'usage individuel de la voiture, particulièrement sur les déplacements domicile-travail (environ 170 mètres carré par voiture). Depuis 30 ans, cela a conduit, spécifiquement en France, à une inflation d'infrastructures routières dimensionnées pour les heures de pointe, donc surdimensionnées. Ce mode de vie correspondait aux aspirations de la classe moyenne, séduite par un mode de transport individuel. Les pouvoirs publics ont alors été incapables d'anticiper les problèmes que cela poserait, sans doute peu éclairés par une recherche en sciences humaines très insuffisante. Il est d'ailleurs inquiétant de voir les étudiants en sciences humaines autant stigmatisés par des hommes politiques plus attirés par une vision utilitariste de l'enseignement supérieur. Il est alors dramatique de diminuer les crédits des universités en sciences humaines au profit des sciences dites dures comme les nanotechnologies, l'atome etc...
Or les problèmes environnementaux vont nécessiter des changements de comportements nécessitant eux-mêmes une vision globale issue de la sociologie, la psychologie, la philosophie, l'histoire et la géographie, l'anthropologie.
Aborder le problème des banlieues par le rapport entre l'usage individuel de l'automobile et l'espace urbain permet d'enchaîner sur cette logique infernale.
1. La construction excessive d'infrastructures a enclavé certains quartiers dont il est impossible de sortir autrement qu'en voiture. Or c'est le mode de transport le plus cher au kilomètre parcouru.
2. Elle a entraîné une qualité très inégale dans le bâti entre les quartiers en amenant des nuisances (bruit, pollution de l'air, dégradation des paysages). Cette inégalité a contribué à augmenter le différentiel de prix entre différents espaces urbains, à alimenter la spéculation immobilière en déséquilibrant la qualité environnementale du bâti. C'est là que le début de la ghettoïsation peut démarrer, car les ménages à revenus faibles ou même moyens ne peuvent se loger ailleurs. Les revenus moyens ont aussi choisi, pour certains, de s'éloigner. Ils ont ainsi fait le choix d'habiter en périurbain pour échapper à la pression foncière et rechercher une qualité de vie, sacrifiant ainsi du temps de transport en automobile, et alimentant ainsi, sans en prendre conscience, le système.
3. Les ouvrages d'art associés à cette construction de routes ont aussi créé des zones dans lesquelles une économie souterraine d'échanges de produits illicites a pu se développer.
On peut donc construire ce petit diagramme:
aspiration à la mobilité individuelle en voiture ------>inflation d'infrastructures ---------->nuisances -------> création d'inégalités de prix de l'immobilier -------->ghettoïsation par le couplage avec l'inégalité de revenus ----------> création des conditions d'une explosion sociale à long terme.
On voit ainsi comment l'aspiration à un certain mode de vie peut générer par effet domino des conditions urbaines désastreuses. Bien sûr, il ne s'agit pas de culpabiliser les classes moyennes d'avoir fait ce choix. Nous ne sommes pas coupables, mais responsables par manque de vision des pouvoirs publics sur l'urbanisme, la mobilité, et ces effets long terme. Il faut donc regarder ces problèmes en face, pour mieux les traiter, et changer notre modèle de vie.
Il faut sûrement envisager une autre représentation que la maison individuelle pour chacun. Il faudra créer rapidement ces représentations par des offres complètement nouvelles en matière d'urbanisme et de déplacements, de distribution des fonctions de la ville dans l'espace (habitat, emplois, commerces, loisirs).