Pierre met en évidence, dans cet article, des forces économiques et politiques qui s'opposent lorsque l'on prend des mesures fiscales. Les avantages initiaux découlant de certaines mesures peuvent être considérablement diminués par des effets contraires purement économiques. C'est la concept de l'élasticité d'un phénomène au prix. Celui-ci dépend du pouvoir d'achat et des réprésentations.
Citons quelques exemples : si on massifie le transport routier, on l’optimise, on baisse donc son coût, et cela favorise son expansion. une baisse de quantité de matières consommées dans les produits fait baisser les coûts et augmenter le volume de ventes. Une baisse de la consommation des moteurs masque l’augmentation du prix du carburant et permet d’augmenter le nombre de kilomètres produits.
Les politiques de décentralisation favorables au transport routier s'opposent à la centralisation des activités économiques permettant de réaliser des économies d'échelle et de favoriser les transports lourds alors rentables comme le rail. Il est donc important dans le débat fiscal de dépasser les analyses limitées aux dualités simplistes rail-route pour aller vers une construction du territoire etc...La réflexion sur l’implantation et la densité des activités économiques doit être menée de front avec le transport de marchandises.
Les pôles d’activités économiques doivent être suffisamment denses et nombreux sur l’ensemble du territoire pour générer des flux suffisants permettant d’utiliser plus de rail que de route.
Ceci dit, traiter le problème des marchandises sous l'angle du développement soutenable, aussi diminuer des flux matières en cycle entier, en rapprochant les lieux de production des clients finaux.
N'oublions pas, par ailleurs, que le transport routier ne représente qu'une faible part du trafic global et que c'est la voiture individuelle qui constitue le "poids lourd", si j'ose dire, des nuisances environnementales. Dire que l'on va résoudre le problème "effet de serre" par le ferroutage est pure démagogie si on ne prend pas en compte tous ces éléments.
Finalement, on revient à intégrer la contrainte environnementale de manière globale dans le cahier des charges d'une des fonctions essentielles de la vie, le transport de biens.
Je vous laisse avec l’article de Pierre.
Report modal pour le transport de marchandises et aménagement du territoire : deux politiques difficilement conciliables.
Précisons tout d’abord quelles sont les ambitions de ces deux politiques, nous verrons ensuite que les concilier soulève un certain nombre de difficultés.
La France est un Etat centralisé. C’est une situation que les politiques de décentralisation n’ont que peu remis en question. Aussi, notre pays n’est pas prêt de s’apparenter à un état polycentrique à l’image de l’Allemagne par exemple. Face à l’enclavement d’un certain nombre de régions françaises, l’Etat, par l’intermédiaire de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) a comme première ambition de mener une politique favorisant le développement des territoires les moins dynamiques. Dans le même temps, la France soutient les pôles et les régions prospères pour leur permettre de constituer des maillons de la métropolisation européenne voire mondiale et ainsi d’attirer les facteurs mobiles de la croissance.
Concernant la politique en faveur d’un report modal de la route vers les modes alternatifs tels que le rail, la barge ou le transport maritime de courte distance, précisons que ces modes lourds nécessitent d’importants volumes pour « tenter » d’être rentables. Si le transport de wagons isolés a hier fait la gloire du rail, il s’agit aujourd’hui de l’activité la plus difficile à rentabiliser pour la SNCF comme pour les autres opérateurs ferroviaires européens. Face à cette situation, l’essentiel de l’avenir du fer se concentre sur les grandes lignes génératrices d’importants volumes.
Apparaît alors une première difficulté étant donné que l’Ile-de-France génère à elle seule une importante partie des flux de marchandises en France. De fait, les autres territoires échangeant d’importantes quantités de marchandises se comptent sur les doigts de la main. Seuls la région Rhône-Alpes centrée autour de Lyon, les ports du Havre et de Marseille et dans une moindre mesure le Nord Pas de Calais parviennent à générer suffisamment de flux pour développer des services ferroviaires massifiés.
De plus, les modes alternatifs à la route acquièrent une pertinence économique lorsqu’il est possible d’équilibrer les flux dans les deux sens. Or, la France étant plutôt importatrice qu’exportatrice, il est difficile de mettre en place des services de navettes ferroviaires depuis les deux grands ports français. De nombreuses raisons que nous n’aborderons pas dans cet article freinent le développement des modes lourds dans la desserte portuaire française, mais une d’entre elles est le déséquilibre entre les flux en import et en export. Ceci constitue donc la deuxième difficulté à laquelle est confrontée toute politique en faveur des modes alternatifs à la route en France.
Notons que nous ne considérons, dans ces deux derniers paragraphes, que des difficultés d’ordre structurelles liées à l’organisation de l’espace français.
Ainsi, il apparaît avant même la mise en place d’une politique volontariste en faveur des modes alternatifs à la route, que le développement des modes lourds en France est contraint par des paramètres intrinsèques à l’organisation spatiale et économique du pays. Toujours est-il que de l’avis des français les moins favorables au transport routier, il ne faut pas pour autant s’arrêter à ses considérations, mais entreprendre des mesures permettant de soutenir les modes alternatifs à la route. Un des leviers fréquemment cité, consisterait à taxer fortement le transport routier. Nombreux sont ceux de droite comme de gauche, qui s’accordent à dire qu’il suffirait de courage politique pour mener une telle réforme. Evaluons néanmoins, a priori, les conséquences d’une telle mesure sur l’économie et surtout sur l’aménagement du territoire.
Imaginons qu’un gouvernement français décide de pénaliser lourdement le transport routier, à l’image de ce que les Suisses ont entrepris par l’intermédiaire de la Redevance sur les Poids Lourds et leurs Prestations (RPLP), revenant en moyenne à multiplier les coûts d’un transporteur routier par un taux compris entre 1,5 et 1,8 en fonction de la vétusté de son parc de poids lourds.
Il ne nous apparaît tout d’abord pas forcément judicieux, à terme, de maintenir indirectement sous perfusion le transport ferroviaire, étant donnés les résultats que nous avons déjà constatés par le passé. Une activité fortement soutenue, soit par des subventions, soit par des taxes sur l’activité concurrente, est rarement incitée à entreprendre les réformes parfois difficiles mais souvent nécessaires lui permettant de rester compétitive à long terme. Etant données les difficultés rencontrées pour réformer le système ferroviaire alors qu’il devient de moins en moins souvent compétitif face à la route, nous voyons mal comment moderniser le fret ferroviaire français, alors qu’il ne se sentirait pas en danger. De même, les nouveaux entrants dans un marché ferroviaire libéralisé seraient moins incités à réaliser des gains de productivité si la concurrence routière s’avérait affaiblie.
Certes, sur les segments générateurs de volumes, le rail prendrait probablement le dessus sur la route qui deviendrait alors trop chère pour être compétitive. Néanmoins, le coût d’une liaison de transport ferroviaire, entre deux points générant d’importants volumes resterait élevé. Ainsi, les grands pôles français seraient certes renforcés par rapport aux régions moins à même de massifier les flux en utilisant le transport ferroviaire pour leurs acheminements, néanmoins ils ne disposeraient pas forcément d’un avantage concurrentiel par rapport aux autres grandes métropoles européennes. Prenons l’exemple de la Suisse. Les prix y sont élevés, certes ils l’étaient déjà bien avant l’introduction récente de la RPLP pour d’autres raisons que nous n’aborderons pas ici. Néanmoins, un prix élevé du transport ne favorise pas la réduction des prix, en particulier ceux de la grande distribution. Rappelons que le transport représente tout de même en moyenne 40% de la structure des coûts liés à la logistique des grands distributeurs.
En outre, en taxant lourdement le transport routier, les entreprises ne pouvant être desservies par des modes alternatifs à la route en seraient d’autant pénalisées. Certaines sociétés concernées seraient alors incitées à délocaliser leur chaîne de production pour rester compétitives face à la concurrence des industries implantées sur des territoires où l’approvisionnement en marchandises est considérablement moins cher. Ces délocalisations pourraient d’ailleurs s’orienter vers les grands pôles français, mais aussi vers l’étranger.
Au final, non seulement l’objectif de répartition des activités et des populations sur le territoire français ne serait pas rempli, mais les pôles français ne seraient pas forcément renforcés. Il apparaît donc qu’une mesure de pénalisation forte du transport routier, qui a première vue devrait permettre un report modal de la route vers le rail, ne constitue pas forcément la panacée attendue, d’une part d’un point de vue économique pour la France , ce que l’on pouvait pressentir en augmentant les coûts du transport, et d’autre part en terme d’aménagement du territoire.
Quand bien même nous réaliserions le vœu pieux que le transport ferroviaire de marchandises aille, dans les années à venir, franchir un cap technologique lui permettant d’améliorer considérablement son image auprès des industriels, les modes lourds auront toujours besoin d’importants volumes pour être pertinents. Or ces derniers existent essentiellement entre les grands pôles d’activité. C’est la raison pour laquelle, si le report modal de la route vers des modes alternatifs doit évidemment rester un objectif pour les politiques publiques françaises, en particulier pour des raisons de santé publique, cet objectif ne va pas forcément de pair avec les ambitions actuelles de la politique d’aménagement du territoire.